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L'histoire d'une vie parmi tant d'autres...
21 mars 2007

L'express -27 sept 2005 (Marie Huret)

« Télégramme pour toi ! » lui crie sa mère, de la digue. C’est l’été 1984. Charlotte Valandrey a 15 ans, elle passe ses vacances en Bretagne. Le courrier la convie à un casting. Elle file à Paris. Tout s’emballe. A 16 ans, l’adolescente, moue percutante, regard laser, se retrouve propulsée révélation du cinéma français, après le film Rouge Baiser, de Véra Belmont. « C’est fabuleux de vivre un conte de fées, non ? » serinent les journalistes. Elle dit si. Pense non. Se tait. S’ils savaient... Mille fois, elle a failli lâcher son secret à la face du monde. Mille fois, elle s’est bridée. On la connaît tous aujourd’hui comme l’intrépide fille du plus célèbre flic de France, l’héroïne de la série "Les Cordier, juge et flic", qui a raflé sur TF 1 des records d’audience - jusqu’à 11 400 000 téléspectateurs en 1999... Il a fallu presque vingt ans pour que Charlotte Valandrey se décide à livrer sa vérité, dans un document courageux, L’Amour dans le sang (Le Cherche Midi), et à L’Express, en exclusivité : à 36 ans, l’actrice révèle qu’elle est séropositive depuis 1985 et qu’elle a reçu, il y a deux ans, une greffe du cœur. La fin d’un tabou ? La France compte près de 100 000 personnes séropositives. On estime entre 3 000 et 5 000 le nombre de nouvelles contaminations chaque année. Mais peu de personnalités ont publiquement associé leur visage au VIH : Jean-Luc Romero, élu UMP, l’a fait après un coming out forcé au sujet de son homosexualité. La fondatrice de SOS-Attentats, Françoise Rudetzki, a embrayé, en 2004, en publiant Triple Peine (Calmann-Lévy) : elle avait été contaminée par transfusion. Pour la première fois, donc, aujourd’hui, une actrice témoigne. On pourrait qualifier ce récit de revigorant message d’espoir, on pourrait faire de cette histoire le combat d’une héroïne moderne, amoureuse, rebelle, qui dévore la vie et dévie la mort. Mais Charlotte Valandrey refuse qu’on l’érige en exemple, encore plus en icône militante : « Je veux juste me libérer d’un secret, dit-elle. Et retrouver une vie normale. »

Dans votre livre, vous révélez deux secrets : vous êtes séropositive, et vous avez reçu une greffe du cœur, il y a deux ans... Pourquoi en parlez-vous ?

Moi, ça me libère, j’espère que ça va libérer les gens. Le réflexe, au début, c’est de vivre caché avec le VIH. Ne rien dire, jamais, à personne. J’ai passé trop longtemps à faire seule mes prises de sang, à surveiller seule mon espérance de vie. Après deux infarctus, on m’a transplanté un nouveau cœur. A 36 ans, j’ai réchappé à la mort deux fois. Cela a été le déclic, j’ai décidé d’écrire un livre. A un moment, j’ai prévenu mon éditeur, je n’étais plus prête, je pensais à ma fille de 5 ans, qui, elle, est séronégative : et si on l’embêtait à l’école ? Mais je ne peux me reconstruire qu’en disant la vérité. J’ai été contaminée en aimant : ce n’est pas une faute. Je ne suis pas coupable d’avoir suscité le désir, pas coupable d’avoir cherché l’amour trop tôt. Coupable de rien !

Vous revenez de loin, très loin : l’été 2003, votre cœur flanche. Un don d’organe vous sauve la vie...

A l’hôpital Saint-Antoine, allongée sur la table d’échographie, j’écoute le cardiologue : « Il vous reste environ 10% de votre capacité cardiaque. » Mon cœur est nécrosé, les artères sont bouchées. Les médecins m’ont prévenue, l’intervention n’est pas sûre à 100%, loin de là. Mon donneur de vie est mort le 4 novembre 2003. Aujourd’hui, je continue ma vie et la sienne. C’est la première fois en France qu’une séropositive reçoit cette greffe. Mais je ne l’ai su qu’un an après. Un jour, j’ai demandé au Pr Rozenbaum, qui me suit depuis le début de ma trithérapie : « On est combien de séropositifs greffés ? » Il m’a dit : « Vous êtes deux, un garçon et une fille. » Le don d’organe, il faut en parler. Il y a un manque terrible : 11 000 demandes par an, pour 3 800 qui aboutissent. Je comprends qu’un parent n’ait pas envie qu’on prenne tout chez son enfant, mais un seul organe, qu’est-ce que ça peut faire ?

Vous avez appris votre contamination très jeune, à 17 ans, et vous n’avez jamais rien dit ?

Parfois, si. Il y a quelques personnes qui, en effet, pourront se vanter : « Tu vois, je te l’avais dit, ce n’était pas qu’une rumeur ! » Sur la pièce de Jean Anouilh, Roméo et Jeannette, par exemple, j’ai confié mon secret à l’un des acteurs. A mes amoureux aussi, à quelques proches, c’était ma façon de me soulager, je n’avais tellement pas le droit de le dire chez moi ! La consigne familiale a été le silence, c’était leur manière de m’aider. A l’époque, on ne se demandait pas si ce serait mieux d’en parler, de voir un psy. La famille de mon père, un ingénieur à la retraite, est bourgeoise, bretonne, dispersée à Paris. Ma mère ne l’a même pas confié à sa sœur ! Mais sans cette consigne, ce poids du silence, je m’en rends compte aujourd’hui, j’aurais parlé à plus de monde et j’aurais sûrement moins travaillé. Des rumeurs ont circulé. Je me souviens d’un beau mec, qui habitait près de chez moi. On se croise chez le marchand de légumes, je le regarde - j’aime bien les beaux mecs -, on boit un Coca. Il me dit : « C’est vrai que tu as le sida ? » Là, pour le coup, il faut aller vite. J’ai pris l’air étonné : « Ah bon ? » Et j’ai enchaîné : « Ben non. »

En 1987, l’Etat lance la première campagne nationale contre le sida, et la trithérapie n’existe pas encore. Votre corps se défend durant dix ans, vous restez en bonne santé...

Parce que le VIH, je ne l’ai pas « calculé », je l’ai ignoré. Parce que je ne lui ai laissé aucune place. Jamais. Le jour où j’ai su que j’étais séropositive, je l’ai mis de côté. J’ai fait comme si je ne l’étais pas. A part les deux prises de sang par an, je refusais d’y penser. Le matin, en me levant, je n’y pensais pas. Le sida, à l’époque, ça se résumait quand même à cela : faut pas serrer la main, pas toucher, pas manger, pas boire dans le verre de l’autre. Je n’ai pas cherché à en savoir plus, j’ai juste été honnête avec chacun de mes partenaires. Les dix premières années, une femme médecin m’a suivie à l’hôpital Saint-Louis. Elle regardait mes résultats, service minimum, « Au revoir, à la prochaine fois » : cela me convenait. A 20 ans, je mangeais énormément, j’ai pesé jusqu’à 62 kilos, ça ne faisait pas grosse, ça faisait ronde. Je n’en étais pas consciente, mais le sida est lié à la maigreur. Mes kilos voulaient dire : je suis en bonne santé, regardez, je suis joufflue ! Au cinéma, à la télé, j’ai tourné le plus possible, multiplié l’effort comme on se débat. La mort, cette garce, je l’ai tenue à distance.

Dans Rouge Baiser, le film de Véra Belmont qui vous a révélée, Lambert Wilson a cette réplique à propos de votre personnage : « Ça a la vie dure, ces petites bestioles. » Et le VIH, c’est coriace ?

Jamais je n’ai ressenti dans mon corps ce qui était marqué sur les comptes rendus des labos : il n’y a pas eu de tache sur la peau, ni maux de tête, ni infection. Cette abstraction m’a aidée. J’ai gardé ma silhouette de jeune fille, les quinze premières années. Mais, depuis cinq ans, j’ai pris du ventre, mes seins ont grossi, mes jambes maigri, même si la trithérapie a rendu la présence du virus presque indétectable. C’est dur de voir son corps changer, surtout dans le milieu des acteurs, qui carbure au désir, à la beauté, à la chair fraîche. Avec ce livre, je suis entrée dans une phase d’acceptation, je n’y peux rien, c’est le résultat des médicaments. Sur ma poitrine, la greffe a laissé une fine cicatrice, presque invisible, presque trop ! J’en suis fière, je la porte comme un pendentif, un bijou tribal, ça fait partie de moi.

A 17 ans, vous êtes propulsée nouvelle égérie du cinéma français, c’est jeune...

Trop jeune. Je voulais être unique, à part, reconnue. Après Rouge Baiser, le succès, l’effervescence, la fête, ça m’allait très bien ! A 16 ans, je gagnais ma vie. Mes parents m’ont acheté un studio, alors que je n’étais pas du tout préparée... Aujourd’hui, en thérapie, avec la psy, on ne parle que de ça, de ce paradoxe. Je ne me suis pas méfiée de l’amour. J’ai été insouciante, comme les filles de mon âge, peut-être un peu plus. Je ne savais rien du sida, à part les trucs entendus à la télé : la cible, c’étaient les homos, les toxicos. Je ne me sentais pas concernée. Pourtant, je suis tombée amoureuse d’un musicien toxico, et d’autres garçons à risques. A la maison, gamine, j’avais tous les droits, j’ai vécu une enfance hyperprotégée, alors la réalité, je l’ai cherchée loin, auprès de mecs écorchés vifs. La permissivité de mes parents m’a rendue sans peur, immortelle. Cette conviction, je l’ai gardée à vie : elle m’a donné trop d’assurance, mais elle m’a sauvée.

Quand vous ouvrez l’enveloppe du laboratoire Chambon, là, c’est un choc ?

Sur le canapé, ce jour-là, je trie mon courrier. Une carte postale de Thaïlande, la mer bleue, les palmiers, et, au-dessous, une enveloppe blanche. Je l’attendais. Le temps de déplier le papier, je vois : « Sérologie VIH positive. » Ma tête fait un tour à l’envers, à 360 degrés : « Zappe, Charlotte, zappe. » Il fallait glisser, nier. En deux secondes, j’ai tout occulté. Le temps de courir à la salle de bains, pourquoi, pourquoi moi ? Je détaille ce corps de gamine, galbé, ferme, mes bras, mes mains, tout semble normal. Dans quelques jours, je fête mes 18 ans : joyeux anniversaire ! Je ne saurai jamais qui m’a transmis le virus. Si j’ai fait le test, c’est que j’avais pris des risques, mais pas plus que d’autres. Je vais prévenir mes parents, et puis oublier, vivre vite, ne plus penser à ce truc dans mon sang. C’est peut-être ça qui m’a fait tenir dix ans sans prendre de médicaments.

Sans jamais ouvrir votre courrier, paralysée à la vue d’une enveloppe avec un bout de calque !

Ma mère l’ouvrait ; moi, je ne pouvais plus. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises, je m’en fichais, je ne voulais plus de nouvelles, juste qu’on me laisse tranquille ! Aujourd’hui, ça traîne, ça déborde. Tous les quinze jours, je ramasse les lettres, les entasse, sans les ouvrir, dans un coin de l’appartement. Au bout de trois mois, je m’y attaque enfin. C’est inscrit en moi, comme l’ADN, à vie : « N’ouvre plus son courrier régulièrement. »

Et n’écoute plus de musique...

Le jour où j’ai appris que j’étais séropositive, tous mes désirs, je les ai mis de côté. Les gamins font des erreurs de jeunesse, la mienne me semblait irrémédiable. Je décide alors de me punir : je n’écouterai plus jamais de musique, moi qui adorais mettre en boucle Sanson, Higelin, Téléphone dans mon studio. Seule, je ne danserai plus, je ne chanterai plus, je ne tricherai pas avec moi, mais je sourirai aux autres, je donnerai ma vitalité en spectacle, je ferai semblant.

Le public vous connaît comme l’une des vedettes de la série "Les Cordier", diffusée sur TF 1. Et au cinéma, que s’est-il passé ?

J’ai pris une claque, très violente, à 19 ans. Ça, je n’en avais jamais parlé. A l’époque, j’étais l’une des deux ou trois actrices de ma génération, avec Sophie Marceau ou Charlotte Gainsbourg, qui avaient la cote. Un célèbre réalisateur m’offre alors un premier rôle. Les répétitions durent plusieurs mois, le tournage va bientôt démarrer, il faut que je libère mon secret. Je le dis au metteur en scène. Il a juste dû répondre : « Ma pauvre Charlotte ! » Et puis on n’en a plus parlé. Pourtant, le film se fera avec une autre actrice, car la production refuse de m’assurer. Le cinéaste n’a pas pris la peine de me l’annoncer. Je l’ai appris par la rumeur : ce n’était plus moi, c’est tout. J’ai encaissé ! Si j’avais tourné ce film, Noce blanche, je crois sincèrement que ma carrière aurait été différente. C’est à partir de là que j’ai commencé à baisser les bras, à me tourner vers la radio ou l’animation d’émissions de télé (Flashback sur M 6). Un truc s’était cassé, le cinéma m’avait quittée.

Au casting des Cordier, en 1992, TF 1 dit non à votre nom, au départ ?

Je n’avais pas bonne réputation, on disait que j’étais un peu emmerdeuse, un peu droguée, pas très en forme. Grossir, maigrir, ne plus sortir... bizarre, non ? Elle doit se droguer ! Heureusement, Alain Bonnot, le metteur en scène, a insisté. J’ai refait des essais, j’ai été prise. Quand c’était sûr, signé, j’ai remonté le grand couloir de la production, où, ce jour-là, on faisait une lecture, et, face à la productrice, j’ai relevé mes manches, tendu mes bras : « Regardez, Nelly, moi, je ne vois pas de traces de piqûres ! » C’était un geste spontané, pas prémédité. Je ne supportais plus la rumeur qui circulait - Charlotte se détruit - alors que chaque matin était un combat. La productrice n’a jamais oublié cette scène, moi non plus.

En février 1995, un examen sanguin révèle pour la première fois une chute sensible de votre taux de globules blancs...

J’ai mal au ventre, j’ai même du mal à sortir de chez moi. J’annonce à mes parents que je serai peut-être malade, bientôt incapable de cacher notre secret. Sans rien dire, mon père se tient parfaitement au courant des progrès de la recherche médicale. Il entend parler d’une nouvelle molécule qui vient des Etats-Unis et donne de bons résultats. A la télé, il repère un médecin français que l’on voit de plus en plus, qui parle avec conviction : le Pr Willy Rozenbaum. Mon père lui écrit, m’obtient un rendez-vous. Au bout de plusieurs mois, le médecin me prescrit mes premières doses d’AZT. Au début, je suis réticente, ces cachets me rappellent mon mal invisible, mais je me rends à l’évidence : il faut que je me soigne.

Votre livre, L’Amour dans le sang, c’est un précis de survie. Il y a trois remèdes essentiels. N° 1, votre père...

Ma vie est inséparable de la sienne. Son silence, sa pudeur excessive m’ont longtemps pesé. Les dix premières années, il ne m’a jamais accompagnée chez un médecin ! Au début de la trithérapie, en revanche, il s’est occupé de moi. Je suis retournée un mois chez mes parents, dans mon lit d’ado : mon père se levait, pilait mes cachets, parce que les avaler m’arrachait la gorge. A jeun, au réveil, c’était ça qui nous attendait, moi et les autres, trois pastilles dégueulasses. Plus tard, après ma greffe, en 2003, mon père était là. C’est la première personne que j’ai appelée, à la maison de repos. Comme une môme : « Au secours, viens me chercher ! » Je suis restée trois semaines et demie en rééducation. En sirop, en perfusion, en cachet, j’ai tout essayé, mais je vomissais mon traitement antirejet, ça avait une odeur de morue ! Mon père m’achetait des yaourts, parfum noix de coco, que j’aime bien. Ce que j’aimais, c’était son amour en petits pots. Parmi les hommes que j’ai cherchés, désirés, je n’avais pas de critères physiques, ou plutôt si, un seul : qu’ils ressemblent à mon père.

N° 2, l’humour...

Un réflexe de survie ! Ça aide, ça blinde, j’ai toujours aimé rire, même de moi. Anonyme dans la chambre de l’hôpital Saint-Antoine, après la transplantation cardiaque, je m’amusais en imaginant la surprise de l’infirmière, si elle avait su que la fille pulpeuse de la télé, c’était moi ! Je me voyais donnant la recette à mes copines célèbres qui rêvaient d’incognito : porter une blouse griffée « Hôpital Saint-Antoine » et perdre 17 kilos en six mois. Il y a aussi des moments où on se jette sous la couette. J’ai beaucoup pleuré, ça m’a aidée. Ce qui m’a épaulée, aussi, c’est la psychanalyse. Quinze ans de thérapie m’ont permis de comprendre que je n’étais coupable de rien - ça soulage.

Et le n° 3, les médicaments...

Pour moi, c’est 23 pilules par jour. Noël ou Saint-Valentin, été comme hiver, jours ouvrables ou fériés, je dois les avoir avec moi, partout, à vie. Traverser Paris si je les oublie. Les jaunes, les rondes, les ovales, je les connais par cœur. Vingt minutes de retard, c’est déjà trop ! La fierté en prend un coup, j’ai horreur de la dépendance. Les cachets, ce sont des bienfaiteurs et des boulets. Si on ne les prend pas, on crève. La science a fait d’énormes progrès. Je me souviens qu’il y a dix ans ma mère m’a emmenée, avec l’argent de son livret, chez un guérisseur qui injectait de l’ozone dans les veines ! Cela lui a coûté 40 000 francs, elle y aurait mis toutes ses économies. Depuis que je suis mère à mon tour, je me rends compte qu’elle s’inquiétait sans cesse pour moi.

Comment avez-vous vécu votre désir d’enfant et vos relations avec les hommes ?

D’abord, il y a la peur de le dire. Là-dessus, il n’y a pas de règle, je prends mon temps ou je me jette à l’eau - « Faudrait que je te dise quelque chose ». Souvent, je le balance comme ça. Il y a ceux qui prennent la fuite en me laissant des lettres. « Il y a trois mots qui me font peur : police, armée, sida », m’a écrit Roman, régisseur de théâtre, qui était d’origine roumaine. Un autre, comédien, m’a lancé : « Sexuellement, ça le fera pas. »

Deux hommes ont vraiment partagé votre vie. Vous dites une chose incroyable à leur sujet : « On se protégeait parfois, mais pas tout le temps. »

Je trouvais ça à la fois beau et odieux. Pas de filet, peu de capotes. Le premier, Christophe, était un casse-cou de l’amour, un mec qui faisait de la moto, qui s’est cassé 15 000 fois 15 000 trucs. Le second, Oscar, avec qui j’ai été mariée de 1999 à 2003, se déculpabilisait en m’acceptant. Cela voulait dire : « Je vaux quelque chose, je suis quelqu’un de bien. » Sur le moment, on se dit : ouf ! l’autre accepte. Et en même temps ce consentement m’a aussi perturbée. Il n’y a pas eu de place dans ces deux vies de couple pour la maladie. La nier, ce n’est pas une solution. Aujourd’hui, j’apprends à lui donner sa place, à me donner ma place.

Finalement, à 30 ans, vous décidez d’avoir un enfant ?

Le désir d’enfant, au début, on hésite à le ressentir : il ne faut pas le ressentir, on n’y a pas droit. Un jour - cela peut paraître égoïste - on en a envie, on le fait. Quand on sauve sa peau, on n’a pas le choix. Ce désir d’enfant est le fruit de ma volonté de survivre. La science, aussi, a fait des progrès, le Pr Rozenbaum nous avait confortés : aucune femme n’avait transmis le VIH à son bébé, selon les cas recensés à l’époque. Tara est née il y a cinq ans, elle est séronégative. On a dû attendre plusieurs mois, pendant lesquels elle a pris de l’AZT préventivement, avant d’être vraiment rassurés. La première année, je n’arrivais pas à l’aimer, j’avais peur qu’elle ne tombe malade, peur de mourir. Je restais détachée. Le virus, parfois, se met en travers. Heureusement, son papa s’en est beaucoup occupé. Moi, je ne pouvais pas rester seule une journée avec elle. Le drame rôdait. A l’époque, j’étais obsédée par les camps de concentration, par l’image de Meryl Streep dans Le Choix de Sophie, forcée de choisir entre ses deux enfants. Je me suis vue, Tara dans les bras, acculée à choisir qui de nous deux resterait en vie : elle ou moi ? Les deux. Mais il s’en est fallu de peu.

En 2003, votre cœur est sur le point de lâcher, l’infatigable est fatigué ?

J’ai fait un infarctus, puis un deuxième. J’y vois évidemment un symbole : j’ai trop aimé, trop pris les choses à cœur. Cet organe, je l’ai malmené, il a fini par lâcher. En juin de cette année-là, je marche chaque jour un peu moins loin, je mets plus de temps pour tout, pour m’habiller, me laver, avancer. J’ai de l’eau dans le ventre que mon cœur ne chasse plus. Quand je débarque, en août, au service cardiologie de l’hôpital Saint-Antoine, je pèse 36 kilos, j’ai la taille fine, très fine, je m’habille en 12 ans. On me dit : « Il faut vous greffer. » A aucun moment je n’ai imaginé que mon existence allait s’arrêter ! Finir sur du fer blanc et des draps synthétiques, ce n’était pas dans le programme du tout ! J’ai engueulé mon cœur : « Dis donc, tu ne m’as pas emmerdée toute ma vie pour me lâcher en route ? » Après deux semaines de réanimation et deux semaines de soins intensifs, j’ai assez de force pour rentrer chez moi, faible mais vivante.

On vous inscrit sur une liste d’attente en urgence. Au bout d’un mois, un greffon est disponible...

Je ne réalise rien, je ne réalise pas que je vais être sciée en deux, que l’opération va durer sept heures, que ce type de greffe est une première médicale en France, sur une séropositive. Je n’ai pas envie de savoir, je fais l’immortelle, une fois de plus. Refuser ma réalité physique m’a aidée. Dans la salle de réveil, superbranchée, reliée à la machine à sang, à air, j’ai très vite senti battre mon greffon. Je l’ai adopté. Mon cœur, c’est mon cadeau d’avant Noël - j’ai été opérée en novembre - un très beau cadeau. Ma seule inquiétude a été : et si je récupère le cœur de quelqu’un qui a été encore plus amoureux que moi, plus fou, plus passionné ? A-t-il aimé plus que moi ? J’ai cru comprendre qu’il appartenait à une femme. Elle m’a sauvée, cela change tout. A priori, je n’ai plus le droit d’avoir envie de me foutre par la fenêtre, il faut se remettre debout.

Les psys martèlent qu’il faut dire la vérité aux enfants, qu’ils comprennent tout. Que sait votre fille ?

Déjà, elle sait qu’on m’a remplacé le cœur, elle se fait du souci, me regarde prendre des tonnes de médicaments. Et, avant la sortie du livre, je lui ai parlé d’un microbe dans mon sang en lui expliquant bien qu’elle ne l’avait pas attrapé, grâce à sa naissance par césarienne. Oscar, son père, a très peur des réactions des autres parents et de leurs enfants face à Tara. Il faut qu’elle soit préparée...

Votre ambition, c’était d’être unique. Aujourd’hui première Française greffée et séropositive, vous y êtes arrivée ?

Oui, c’est vrai. Pas comme je l’avais prévu ! Il y a quelques mois, des médecins m’ont conseillé : « Pourquoi ne pas rencontrer des gens comme vous, afin de voir comment ils font pour grossir, prendre de la masse musculaire... ? » Je n’ai jamais eu envie de rencontrer d’autres personnes comme moi. J’y ai pensé, j’aurais pu, mais je n’aurais plus été unique...

Qu’attendez-vous de l’avenir ?

Après la greffe, j’étais complètement brisée moralement, physiquement. Quand on est tombé si bas, on ne voit plus les choses de la même manière, on va à l’essentiel, on arrête de rêver, d’espérer des choses mirobolantes. J’ai envie de refaire du théâtre, une série TV, envie d’un autre enfant, d’un nouveau compagnon. Je me passionne pour le yoga. Une nuit d’été, il y a un an, j’ai entendu, en voiture à la radio, des chants libanais. J’ai ouvert la portière et dansé deux heures sur un quai de Seine. J’avais pour la première fois l’impression de réentendre la musique. J’y reviens petit à petit. Les envies prennent des goûts, des formes, des odeurs. Avant, rien ne servait à rien. Aujourd’hui, je me sens bien. Au pied de la mort, déjà, je ne me sentais pas vraiment malade ! Maintenant, je suis sereine, libérée de mon secret. C’est grâce à mes parents, à leur amour emmagasiné les quinze premières années de ma vie sans nuages, que j’ai eu la force de me battre. Ce n’était pas un combat. C’était une foi en la vie!

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Pourquoi avoir publié cet article?

  • Pour rabattre le claquet aux Laborde et compagnie que je dénigre

  • Pour montrer le courage de cette femme et son combat quotidien

  • Et ça tombe dans le cadre du Sidaction

(J'ai été bouleversée en lisant cet article)

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